Réenchanter les villes marocaines : beauté, mobilité, espaces publics et citoyenneté au cœur du défi urbain

À l’heure où le Maroc aspire à renforcer son attractivité économique, touristique et sociale, une question devient centrale : comment faire de nos villes des espaces harmonieux, beaux, fonctionnels et humains ?
La réponse ne se trouve pas uniquement dans le béton, les infrastructures ou les projets pharaoniques. Elle réside aussi — et surtout — dans la qualité de vie quotidienne, dans l’appropriation des espaces par les citoyens, dans la fluidité de la circulation, dans l’esthétique de l’environnement, et dans le respect des règles de vivre ensemble.
Malheureusement, la réalité dans de nombreuses villes marocaines est préoccupante : urbanisation anarchique, circulation désordonnée, multiplication des motos non régulées, espaces verts insuffisants, incivilités fréquentes. Le modèle urbain actuel montre ses limites. Pour créer un avenir désirable, il faut repenser notre rapport à la ville.

La beauté urbaine : un patrimoine en péril

La beauté d’une ville ne se limite pas à ses monuments ou à son passé historique. Elle se construit au quotidien, dans la manière dont les rues sont aménagées, dans la cohérence architecturale des bâtiments, dans la propreté des trottoirs, dans le soin porté aux places publiques, aux façades, à la signalétique, aux éclairages. Or, dans de nombreuses villes marocaines, l’esthétique urbaine est le grand oublié des politiques locales.

Des villes qui manquent d’âme

De Casablanca à Fès, de Meknès à Agadir, on observe une urbanisation fonctionnelle mais rarement harmonieuse : immeubles mal alignés, couleurs criardes, câbles électriques apparents, panneaux publicitaires démesurés, absence de style ou de logique d’ensemble. Même les centres-villes historiques, parfois classés patrimoine mondial, sont souvent négligés ou mal rénovés.

Un véritable projet esthétique manque dans nos villes. Il ne s’agit pas de « décorer », mais de donner un sens visuel et une identité claire à chaque quartier. La beauté d’une ville est un capital symbolique et économique : elle influence le bien-être des habitants, attire les touristes, augmente la valeur immobilière et renforce le sentiment d’appartenance.

Une mobilité urbaine chaotique : la moto comme symptôme

Parmi les problèmes les plus visibles dans les villes marocaines, la circulation routière est probablement l’un des plus préoccupants. Le phénomène est amplifié ces dernières années par l’explosion du nombre de motos et scooters dans les rues.

À Marrakech, Casablanca, Fès, Agadir, on assiste à une saturation des rues par des motos qui circulent dans tous les sens, souvent sans casque, parfois à contresens, et presque toujours en dehors de tout cadre réglementaire. Le problème n’est pas l’usage de la moto en soi — c’est un moyen de transport économique et flexible, notamment pour les jeunes et les livreurs — mais l’absence d’infrastructures adaptées : pas de voies dédiées, pas de feux spécifiques, pas de règles strictement appliquées.

Cette anarchie a un coût humain : les accidents de la route impliquant des motos sont en forte hausse, souvent avec des conséquences graves. Les piétons, les cyclistes, les automobilistes : tous sont exposés à des comportements imprévisibles. Les trottoirs deviennent impraticables, envahis par des deux-roues, les passages piétons ignorés, et le bruit permanent crée un stress sonore insupportable.

Repenser l’aménagement urbain : pour des villes vivables et inclusives

La ville moderne ne peut plus être pensée uniquement pour les voitures ou les profits immobiliers. Il est urgent de redonner de la place à l’humain, à la mobilité douce, à la qualité de vie. Cela passe par un nouveau modèle d’aménagement urbain, plus inclusif, plus écologique et plus cohérent.

Des espaces piétons insuffisants

Très peu de villes marocaines disposent de zones piétonnes réelles. Pourtant, un centre-ville apaisé, où l’on peut marcher, flâner, s’asseoir sans craindre les klaxons ou les gaz d’échappement, est un facteur fondamental d’attractivité et de dynamisme commercial. Certaines expériences, comme à Essaouira ou dans certaines artères de Rabat, montrent que piétonniser certaines zones dynamise le cœur des villes.

La jungle urbaine

En l’absence de planification, on assiste souvent à une occupation anarchique de l’espace public : terrasses non autorisées, stationnements illégaux, étalages de commerces informels, absence de mobilier urbain. L’espace devient un lieu de conflits et de désordre au lieu d’être un bien commun partagé et régulé.

Travaux à rallonge et trous à ciel ouvert : une plaie pour les villes marocaines

Autre réalité accablante dans de nombreuses villes du Maroc : les chantiers qui n’en finissent jamais, les trous béants laissés des semaines – voire des mois – dans les rues, parfois sans signalisation, ni clôture, ni suivi. Qu’il s’agisse d’enfouissement de câbles, de canalisations, ou de réfections de voirie, les travaux publics manquent souvent de coordination et de rigueur. Une route goudronnée est parfois détruite quelques mois plus tard pour d’autres travaux, faute de planification entre services. Résultat : des rues défoncées, de la poussière, des bouchons, et une perte de confiance totale envers les autorités locales.

Où sont les jardins ? La nécessité des espaces verts

Un autre grand oublié dans l’aménagement urbain marocain est l’espace vert. Dans des villes de plus en plus bétonnées, les jardins publics se font rares, et ceux qui existent sont souvent mal conçus ou mal entretenus : herbe sèche, bancs cassés, sécurité absente, fréquentation incertaine.

Pourtant, les bienfaits des espaces verts sont immenses :

· Ils réduisent la chaleur urbaine (îlots de fraîcheur),

· Ils améliorent la qualité de l’air,

· Ils offrent un lieu de détente, de sport et de socialisation,

· Ils favorisent l’équilibre mental, en particulier chez les enfants et les personnes âgées.

Le modèle à suivre pourrait être celui de parcs urbains intégrés dans chaque nouveau quartier, avec une vraie ambition de qualité : sentiers de promenade, arbres en nombre, fontaines, zones de jeux, éclairage nocturne et entretien régulier.

La responsabilité citoyenne : clé du changement durable

Enfin, et peut-être surtout, la ville n’est pas qu’une affaire d’ingénieurs ou d’élus. Elle est le reflet des comportements de ses habitants. Le Maroc fait face à une crise de la citoyenneté urbaine.

Des comportements incivils quotidiens

On le voit chaque jour : déchets jetés dans la rue malgré la présence de poubelles, non-respect des feux rouges, graffitis sur les murs, mobilier urbain dégradé, incivilités dans les transports, pollution sonore. Ces comportements ne sont pas anecdotiques : ils sapent la qualité de vie collective et créent un climat de tension et de désordre permanent.

Un lien social fragilisé par l’individualisme et le relâchement civique

Le Maroc traverse une période délicate, marquée par l’effritement des relations sociales et la dégradation des comportements citoyens. La famille, traditionnel socle de l’apprentissage des valeurs, voit son rôle s’amenuiser, tandis que l’école rencontre des difficultés grandissantes pour former des citoyens responsables. Cette situation alimente un climat de méfiance, de repli sur soi et d’individualisme, renforcé par le recul de l’engagement civique.

Sociologues, enseignants et associations mettent en garde contre l’urgence d’une mobilisation collective afin d’inverser cette tendance. Cette prise de conscience est d’autant plus cruciale que le Royaume s’apprête à accueillir la Coupe du monde 2030 — un événement d’envergure internationale, symbole de fierté nationale et d’ouverture sur le monde.

Il est donc indispensable d’unir toutes les énergies — citoyens, institutions, société civile — afin de retisser le lien social, de promouvoir des comportements respectueux des autres et de l’espace public, et d’offrir tant à la population locale qu’aux visiteurs une expérience empreinte d’hospitalité, de civisme et de cohésion.

Le respect de la ville commence par le respect des autres

Une ville belle et fluide ne peut fonctionner sans une culture du respect. Cela commence par l’école, mais aussi par l’exemplarité des autorités, des campagnes de sensibilisation, un contrôle effectif et des sanctions claires. Mais cela passe surtout par une prise de conscience collective : la ville est un espace commun. La détruire, c’est se détruire soi-même.

Pour des villes marocaines désirables et responsables

Une ville bien pensée, c’est une ville où l’on respire, où l’on marche avec plaisir, où l’on se sent en sécurité. C’est un espace où les enfants jouent dans les jardins, où les motos circulent sur des voies adaptées, où la beauté du cadre de vie inspire le respect et la fierté. Une ville où chacun, à son échelle, contribue à l’ordre, à la propreté, à l’harmonie collective.

La ville de demain ne doit pas être uniquement moderne ou connectée. Elle doit être belle, respirable, accessible, humaine, apaisée, partagée. Le Maroc a les talents, les ressources et l’élan pour construire de telles villes. Mais cela suppose de revoir nos priorités : replacer l’esthétique au cœur de l’aménagement, penser l’espace pour tous les usages, mettre fin au chaos circulatoire, offrir de vrais espaces verts, et surtout, cesser de laisser traîner des travaux qui défigurent nos rues pendant des mois.

Tout cela demande aussi un changement profond dans nos comportements : plus de civisme, plus de respect, plus de responsabilité. La ville est un miroir de ce que nous sommes. À nous de faire en sorte qu’elle reflète un Maroc plus harmonieux, plus solidaire, plus beau.

 

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